lundi 6 février 2012

2062 : y a-t-il un commissaire pour sauver l'exposition?












Hybrid, par le collectif Pleix


La Gaîté lyrique propose du premier février au 25 mars une exposition collective titrée 2062, aller-retour vers le futur. En 1862, le théâtre de la Gaîté était inauguré pour le plus grand plaisir des parisiens ; ce qui est aujourd'hui le centre des arts numériques et des musiques actuelles fête cet anniversaire en se projetant cinquante ans en avant. Visions prophétiques, scénarii utopistes ou très sérieuses études prospectives se côtoient sous différentes formes. Les installations, vidéos, performances ou expériences in situ, conférences et concerts se superposent ou se succèdent dans un foisonnement joyeux mais parfois difficile à déchiffrer.





Sur le papier, ou plutôt sur le site de la Gaîté lyrique, le programme est enthousiasmant : installation du prolifique collectif d'artistes Pleix, des délirants freaks architects, une plus sérieuse exposition sur l'innovation mise en place par NoDesign avec des pièces prêtées par les voisins du Musée des Arts et Métiers, et il y a même une "urne transtemporelle" pour laisser un message pour 2062 ou encore une cabine d'hypnose... Les vidéos et les installations des Pleix nous amusent, la chronologie de l'innovation nous intéresse. Bon, on avoue, la file d'attente devant la cabine d'hypnose nous a découragé. Peu importe. Pourquoi la magie du futur ne s'opère-t-elle pas? Une dose de caricatures paroxystiques de notre monde surpeuplé, surpollué ou surconsommateur, une pincée de progressisme enthousiaste, un peu de rêverie transcendantale... mais la sauce ne prend pas. Que faut-il retenir de ce patchwork disparate, quel est le propos des organisateurs? Impossible de trouver un nom de commissaire sur les plaquettes ou sur le site, ce qui
est peut-être un début de réponse. 





Alors que s'attendait-on à trouver de plus, quel est le fil conducteur manquant à cette exposition? Derrière la question posée « Comment vivra-t-on en 2062 ? » s'agitent les fantômes nostalgiques des œuvres de science-fiction produites il y a cinquante ans et qui présupposaient notre monde actuel. Le futur a été le terrain de jeux favori des designers, architectes, cinéastes, écrivains des années soixante. À cette époque où coïncident les promesses de la conquête de l'espace et le boom de la consommation de masse, les scenarii les plus fous sont possibles. Ils véhiculent les angoisses et les aspirations du siècle : en 1964 Stanley Kubrick transpose le fantasme du voyage spatial dans des décors blancs et argents inspirés des programmes de la NASA pour son film 2001, l'Odyssée de l'espace. Deux ans plus tard, de jeunes architectes italiens qui ne veulent plus en être forment le groupe Superstudio et publient un recueil de nouvelles intitulé Twelve Cautionary Tales for Christmas : Premonitions of the Mystical Rebirth of Urbanism. Chaque nouvelle décrit une ville "idéale" aux codes modernistes poussés à l'extrême, qui se révèle être le paysage horrifiant de nos névroses. Ces deux exemples illustrent à eux seuls la créativité percutante que pouvait générer l'opposition entre le progressisme et la critique du monde moderne.





Est-il encore question aujourd'hui de progrès et de peur du progrès? Les propositions rassemblées à la Gaîté lyrique semblent pour la plupart éviter cette dichotomie. Elles nous parlent plutôt de mutations, d'expériences autour du corps, de la mémoire ; frileuses, assez peu utopistes finalement, elles sont surtout des suggestions de réalité augmentée. Si l'on en croit l'exposition de
la Gaîté lyrique, le monde en 2062 ressemblera à celui de 2012 en
vaguement mieux ou vaguement pire. Les contributeurs invités ne semblent pas disposés à imaginer de scénarii plus audacieux. Comme si les bouleversements de ce début de siècle - introduction du numérique à tous les niveaux de recherche, de production et d'échanges, mondialisation, crise des systèmes financiers et étatiques, etc... - nous saturaient et nous empêchaient d'imaginer la suite. Le futur nous saute à la gorge et ne nous laisse pas le temps de le rêver. Tristesse...





Quelle
que soit l'époque de la projection qu'une société se fait d’elle-même dans l’avenir, une des
caractéristiques communes est le décalage systématique par
rapport à la réalité telle qu’elle advient. Dans le cas de 2062, on en vient à souhaiter que ce décalage soit important. On aurait aimé plus de réponses de designers, d'architectes, qui, sans forcément proposer de solutions toutes faites, ont la capacité de formuler des alternatives à notre manière actuelle d'habiter le monde. On se dit que, d'habitude, les artistes ont l'imagination et l'appareil critique nécessaire pour se projeter dans un futur fantasmé. On pense que ça aurait été bien d'inviter des gens comme François Roche, Didier Faustino, Dunne and Raby, Martin Le Chevallier ou le jeune artiste argentin Adrián Villar Rojas. Et tous les autres auxquels on ne pense pas ou qu'on ne connaît pas. Surtout, on aurait aimé un contenu théorique un peu plus consistant pour nous guider vers 2062.









 



Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...