lundi 9 janvier 2012

l'éternel retour du recyclage





"b.a-ba" Objets récoltés par Emmaüs à Bruay-la-Buissière


© Cyrille Candas



Difficile aujourd'hui pour un designer de ne pas penser à l'impact de sa production sur l'environnement. Sans être un écologiste forcené, sans que la protection de l'environnement soit le moteur de sa réflexion ou le but in fine de sa démarche - ce qui est le cas de certains designers totalement "verts" - chaque designer interroge à un moment donné sa responsabilité de producteur d'objets. 







Toutes les écoles de design sensibilisent leurs élèves à ce sujet, eux-mêmes habitués désormais à trier les déchets ou à économiser l'eau depuis des années. La presse spécialisée relaie des informations plus ou moins commerciales sur les propriétés des nouveaux matériaux, naturels, non toxiques ou recyclables, et sur les projets respectueux de l'environnement. Dans le domaine de l'architecture, où l'échelle et la pérennité du projet imposent d'autant plus une vigilance au moment du choix des matériaux - crucial notamment pour réduire les déperditions thermiques - les débats sur les méthodes d'isolation ou sur les revêtements intérieurs sont légion. 





Chez les designers aussi, l'état d'esprit général semble être à l'honnêteté, voire à l'humilité : il s'agit plus de limiter l'impact polluant du projet que de proposer des solutions 100% écologiques. La première collection d’objets et de mobilier de Claire Escalon et Nicolas Lanno (voir l'article du 15-09-11) O.F.F
"Organic French Furniture", avec son curseur indiquant le niveau écologique de l'objet, est pour cela emblématique d'une manière de produire très actuelle, que j'avais nommée "good clean design".


Si la protection de l'environnement fait au moins partie du cahier des charges de départ de la plupart des projets, certaines bonnes intentions sont en réalité abandonnées en cours de route : les matériaux écologiques sont souvent chers, parfois difficiles à mettre en œuvre ou de qualité esthétique discutable. Chacun compose alors avec son budget et sa conscience. Cette politique du "moins pire" est la plus répandue et sans doute la plus réaliste, mais pas la plus audacieuse, ni la plus innovante. 





Certaines personnes préfèrent prendre au pied de la lettre le lieu commun selon lequel il y a déjà beaucoup trop d'objets sur terre, et s'aventurent sur le terrain glissant de la récupération d'objets existants. Glissant ne signifiant par forcément ici planté dans le mur ; mais la plupart de ces projets ne relèvent plus du design stricto sensu, mais plutôt de "l'artisanat d'art", expression fourre-tout qui désigne toutes sortes d'activités de création de pièces uniques faites à la main, pour le pire et pour le meilleur (voir le commentaire d'Henri qui récupère et redonne une seconde vie aux chaises abandonnées de La Haye, à propos de l'article sur l'auto-production du 18-09-11).





Le recyclage comme process de design reste une niche, parce qu'il est difficile d'industrialiser la récup'. Les designers brésiliens Fernando et Humberto Campana sont peut-être les seuls à avoir réussi le passage de la petite production artisanale au design de série chez des éditeurs de renom (Edra, Vitra, Cappellini...). Mais si elles sont effectivement constituées de matériaux pauvres ou de déchets industriels, leurs chaises sont avant tout un manifeste contre l'absurdité de notre monde de consommation tout autant qu'une allégorie de l'ingéniosité des classes populaires brésiliennes pour survivre. En ce sens, elles ont valeur d'image plus que d'exemple. 





Plus accessible, moins conceptuelle, la chaise Sparkling dessinée par Marcel Wanders en 2010 pour Magis ouvre une voie moins folklorique du recyclage. Elle est en plastique PET recyclé, et avec son allure de gros jouet et ses pieds dévissables, elle insuffle une certaine légèreté qui contraste avec les lourdeurs de la problématique environnementale. On peut citer dans la même veine la chaise Emeco fabriquée à partir de 111 bouteilles de coca-cola recyclées. 





La passion du recyclage va toujours de pair avec une affinité particulière avec la matière. La designer française Elise Fouin explore elle aussi les déchets (copeaux de bois, d'aluminium, chutes de papier...) pour les faire revivre dans d'autres objets, et évitant les écueils formels du "design povera", ses projets sont légers et séduisants. La designer ne revendique pas une démarche écologique, elle préfère parler de "réinvention" de la matière, ce qui est prudent quand on sait à quel point les poncifs sur la protection de l'environnement se succèdent et s'annulent.





Enfin s'il est un projet qui porte bien son nom et qui apporte une réelle innovation à la problématique du recyclage, c'est celui de Cyrille Candas exposé récemment au VIA : B.a-ba, petites résurrections. B.a-ba, c'est le nom de la marque qui produit des objets issus de la filière de recyclage d'objets et de textile collectés par Le Relais, membre d'Emmaüs. Les textiles usés et invendables sont transformés en une courte fibre teintée appelée floc, qui est pulvérisée sur des objets tombés en désuétude. Le résultat est une gamme d'objets et de mobilier aux formes archétypales familières et sympathiques, recouvertes d'une peau de pêche colorée qui leur donne un petit air décalé et second degré. Au delà de la démarche écologique, c'est la dimension sociale et économique qui fait toute la force de ce projet : B.a-ba est aussi le nom d'une nouvelle activité industrielle qui doit pérenniser, voire générer de nombreux emplois synonymes de réinsertion au sein du Relais.





Quelle conclusion en tirer? Lorsque le recyclage ou tout autre forme de démarche écologique fait partie d'un plus vaste projet qui inclut d'autres problématiques économiques, sociales, culturelles, lorsqu'il n'est pas la fin mais les moyens pour y parvenir, alors il peut être le lieu d'une innovation, et peut-être même d'une séduction inattendue. Le projet de design 100% écologique n'existe pas, au même titre que l'autarcie est un système économique qui ne marche pas, parce qu'on ne saurait vivre sans créer, innover et partager, au risque de se tromper.




Chaise Sushi, 2002, et Chaise Favela, 2003, Fernando et Humberto Campana pour Edra







Sparkling chair, Marcel Wanders, polystyrène moulé par soufflage, Magis 2010







Chaise design 111 NAVY, Emeco et Coca-Cola, 2010




"b.a-ba", Lustre gris après flocage © VIA 2011 - Marie Flores





"b.a-ba", Chaise bleue après flocage © Cyrille Candas




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