lundi 28 novembre 2011

Star Ac' by Starck






Si vous n'avez pas encore téléchargé l'émission de télé-réalité "Design for Life" de Philippe Starck diffusée sur BBC2 en 2009, la chaîne Stylia va vous permettre de trépigner tous les mercredis à partir du 14 décembre. L'occasion pour PROJECTitude de revenir sur ce petit bijou starckien hilarant, un show impeccable du designer à mi-chemin entre "l'École des Chefs" et "Star Academy", diffusé en France sous le nom de "l'École Starck".




Les chaînes de télévision ont repéré depuis longtemps déjà la manne que représentent les émissions déco ou design, puisque la maison reste le lieu refuge et le poste de dépense numéro un de la plupart des Français (source UNIFA). "Intérieur" sur Paris Première, "La maison France 5", "Côté Maison" sur France 3, "D&CO" sur M6, "Téva Déco" pour ne citer que les plus connues, initient les téléspectateurs aux secrets des décorateurs, opèrent sous leurs yeux de magistrales séances d'"avant/après", ou les introduisent dans des intérieurs de prestige. Certaines émissions sont sérieuses et bien conçues, d'autres sont assez efficaces en vulgarisation extrême de la déco, mais aucune ne s'était aventurée dans la compétition entre designers. 



Le pitch de "l'École Starck" : douze jeunes designers britanniques sont prêts à tout pour remporter six mois de stage dans l'agence de la star française. L'émission, montée quasiment comme un clip, reprend les codes désormais classiques de la télé-réalité : la voix off qui sous-titre les enjeux et les hypothèses de chaque situation, les confessions en solo de chaque compétiteur, la pression qui monte avant la séance d'élimination, le renversement de situation théâtral ou les gros plans sur la fille qui pleure. 

Pourquoi des Anglais? Philippe Starck, on le sait, ne recule devant aucun problème à résoudre. Or la Grande-Bretagne n'a plus, selon lui, de bon designer depuis ce cher vieux Sir Terence Conran. Première nouvelle! On peut se demander selon quels critères il exclut de facto Jasper Morrison, Tom Dixon, Ross Lovegrove, Dunne & Raby, en vrac et de manière non exhaustive. Mais Starck ne recule devant aucune affirmation fumeuse, et, revendiquant le design comme un domaine d'excellence française (qu'il incarne à lui seul, c'est l'idée sous-jacente bien sûr), il vole au secours de ces pauvres Anglais qui n'ont pas de bonne formation disponible, comme celle dispensée au Central Saint Martins College of Art and Design par exemple. Et puis, c'est vrai, les "rosbifs" ont mauvais goût, tout le monde sait cela. 



Mais transposons la même émission avec des designers français : il n'est pas certain que le prix -un stage de six mois dans l'agence de Philippe Starck- fasse rêver beaucoup d'étudiants. Et qui serait prêt en France à se faire torpiller en public par le designer le plus nineties de l'hexagone? Philippe Starck n'a pas vraiment la cote chez ses compatriotes et il le sait bien. Ce n'est pas qu'une question de génération, ni même de production : tout le monde s'accorde à dire que Starck est un bon designer. Mais il énerve à tout faire et tout savoir, il fatigue à vouloir sauver la planète à chaque seconde, et surtout, le concept de la success story n'est pas français. C'est tout le paradoxe du "cas Starck" : critiqué, jalousé, et pourtant toujours autant plébiscité par le grand public.

Ce
show met pour la centième fois en lumière les ressorts de son
succès : avec son accent français exagéré, Starck utilise des mots qui font
briller les yeux des compétiteurs, il explique le design de manière
simple et imagée, il raconte un monde à venir qui pourrait être si beau
et performant si on le laissait faire.
Il faut rendre à César ce qui est à César : son émission relève le défi de faire comprendre la profession de designer au grand public, tâche ardue qui a fait échouer un bon nombre de designers et d'organismes de valorisation du design avant lui (voir article précédent). La compétition entre les jeunes Anglais, les briefs de projet que la star française leur soumet et sur lesquels ils se cassent les dents illustrent très bien les enjeux du métier, le doute mais aussi l'ardeur passionnée qui habitent les designers. 



Comme ses objets, ses hôtels, ses expositions, l'émission de Starck est un projet de design en soi, et même, la démocratisation du design est un projet de design en soi. On peut en critiquer la méthode, la forme ou la communication, le but est atteint : le design est expliqué de façon didactique, le show est amusant, l'audience est bonne, et les collaborateurs de Philippe Starck ont eu la chance d'avoir un ou une stagiaire venu(e) d'outre Manche à martyriser pendant six mois.






Les prétendants au stage dans l'agence de Philippe Starck


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