*La deuxième partie sera publiée le 06/12/11
La politique nationale en matière de design n'est pas des plus limpides. En faisant des recherches, il est difficile de trouver une quelconque ligne directrice, voire difficile de trouver quoi que ce soit tout court. Première dispersion : en matière de politique publique, le design dépend alternativement ou conjointement du Ministère de la Culture et de la Communication, et du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie. Cette double tutelle semble légitime quand on sait à quel point le métier de designer est protéiforme, mais elle n'aide pas la profession à se fédérer autour d'un programme clair.
Du côté du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, où le design est avant tout perçu comme un facteur d'innovation, l'effort porte sur la promotion du design auprès des entreprises. En mai 2010, l'APCI (Agence pour la Promotion de la Création Industrielle), la Cité du design, et l’IFM (Institut Français de la Mode) ont rendu au ministère un rapport sur l'économie du design en France, qui met en exergue la méconnaissance du métier par les PME et PMI. Pourtant des efforts sont fournis, en premier lieu par le ministère lui-même, qui a mis en ligne le site "Entreprise et Design" à vocation pédagogique. Sur le portail, le chef d'entreprise égaré est encouragé : "ils ont réussi avec le design, faites comme eux!". S'il expose assez clairement la valeur ajoutée du design pour l'entreprise et les modalités des collaborations possibles avec un designer, le site lui-même ne respire malheureusement pas la créativité et l'innovation. Il ne présente aucune image de projets de design, et n'a pas été actualisé depuis janvier. Ce site semble être à l'image de la politique du ministère : pleine de bonne volonté, mais appliquée de manière erratique grâce à des ressources humaines et financières que l'on imagine volontiers restreintes.
Pourtant les relais existent, et sont même légion ; quel designer ne s'est pas demandé quel organisme se cachait derrière cet énième acronyme contenant le D de Design? Tout le monde semble cavaler pour valoriser et promouvoir cet appétissant gâteau qu'est le design: la Cité du Design, le Lieu du Design, l'APCI (Agence pour la Promotion de la Création Industrielle), Design France, l'IFD (Institut Français du Design), le VIA (Valorisation de l'Innovation dans l'Ameublement), l'AFD (Alliance Française des Designers), la FÉDI (Fédération du Design) etcétéra, etcétéra... Sans parler des structures régionales, privées, des écoles, musées, galeries, revues, qui lancent des projets de recherche, élaborent des chartes, organisent des colloques, formations, rencontres.
Tout cette agitation est plutôt bon signe pour la profession, et les belles initiatives ne manquent pas. Mais les principaux intéressés, à savoir les designers, savent rarement à qui il faut s'adresser pour tel ou tel service, et, désorientés face à cette offre cacophonique, se sentent peu concernés par ce qui pourrait être une politique globale, mais qui pour eux ressemble surtout à une gigantesque usine à gaz. Non seulement ces organismes coordonnent assez peu leurs actions, mais en viennent même parfois à se mettre en concurrence entre elles, comme l'a montré l'affligeant "duel" Designers Days vs Paris Design Week¹, ou bien la teneur de la lettre publique de l'AFD : "pour de réels partenariats" adressée au Lieu du Design². Tout cela ne contribue pas, hélas, à fédérer la profession.
Alors qui fait quoi, qui dépend de qui, qui travaille avec qui? Dans les "poids lourds" de la promotion du design, La Cité du Design (organisme public implanté en région Rhône-Alpes) et l'APCI (organisme privé) s'appliquent à former et informer les designers, les entreprises mais aussi le grand public, par le biais de partenariats, de concours, d'expositions : Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne, Observeur du design... Le VIA (financé par l’Union nationale des industries françaises de l’ameublement UNIFA) ou la Villa Noailles (association financée par les deniers publics), eux, ont un rôle stimulant pour une création plus pointue, grâce aux cartes blanches ou aux aides à projet pour l'un, au festival international de la Design Parade pour l'autre. Au niveau régional, Les Ateliers de Paris offrent de vrais services aux "porteurs de projets" que peuvent être, entre autres, les designers (assistance juridique, formations, résidences, expositions). Toujours en Ile-de-France, le jeune Lieu du Design a fait beaucoup parler de lui à son ouverture, mais semble peiner à définir ses missions et son champ d'action.
A noter enfin, parmi les acteurs qui jouent désormais un rôle important dans la construction d'une identité française du design, le syndicat AFD (Alliance Française des Designers). L'AFD défend les droits des designers, et ne manque pas de tirer à bout portant dès qu'elle constate une irrégularité qui pourrait porter préjudice à la profession. Sur leur site, les marchés publics ou concours aux règlements non conformes au droit du travail sont sur liste noire, les structures de valorisation du design qui se font mousser de manière abusive sont épinglées. Elle vient de publier une "charte AFD des marchés publics", qui donne un cadre pour concevoir un "Avis d’appel public à la concurrence" (AAPC)
respectueux des meilleures pratiques de commande publique de design.
Car il s'agit bien de structurer et d'encadrer une discipline qui peine à trouver sa place au sein de l'économie nationale ; et l'État en tant qu'employeur, s'il avait un seul rôle à jouer, serait celui d'exemple. C'est pour cette raison que la charte AFD est une initiative cruciale, parce qu'elle ouvre la voie vers des collaborations justes et normalisées. Le paradoxe est bien là : comment "standardiser" une profession qui ne cesse de se redéfinir et d'élargir le territoire de son action? Comment communiquer auprès des entreprises et du grand public, quand le contenu du message ne cesse d'évoluer? La presse sans doute ne joue pas son rôle de pédagogue, en transmettant une vision lissée du design à travers des images marketées et accompagnées de textes sibyllins. Les structures de valorisation et de promotion du design devraient se coordonner et collaborer pour que la discipline puisse présenter un corpus cohérent, non seulement de designers, mais d'idées, en France et à l'étranger.
Mais il ne faut pas se retrancher uniquement derrière les acteurs publics : les designers, individuellement, doivent se sentir responsables du devenir de leur profession et de l'image qu'ils donnent. Ils ont l'obligation de fournir les premiers un effort de cohésion et d'être exigeants face aux clients, aux institutions et à la presse. Parce que comme le veut l'adage populaire, on n'a que ce qu'on mérite.
1. Les Designer's Days, le parcours parisien du design qui a lieu chaque année au printemps, et qui regroupe notamment les grosses maisons d'édition établies à Paris, s'est vu cette année concurrencée par la Paris Design Week (lancée par les organisateurs de Maison & Objet). Cette "queue de poisson" a donné lieu à un arbitrage sévère de la Mairie de Paris, qui a choisi de défendre le parcours plus historique que constituent les Designer's Days.
2. Cette lettre datée du 6 juin 2011 est consultable sur le blog de l'AFD.
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