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La grande vague de Kanagawa, Hokusai, vers 1830 |
Dans
l'imaginaire collectif, la vague originelle est celle de Kanagawa, première
estampe de la série des "trente-six vues du Mont Fuji", que l'on
retrouve dans les grands musées du monde entier. Cette image a
été reproduite en milliers d'exemplaires, en posters, sur les i-pods, les
rideaux de douche ou dans les catacombes parisiennes, elle a donné lieu a
toutes sortes d'interprétations, d'usages, de logos comme celui de la marque
Quicksilver.
Son
auteur, Hokusai, est le spécialiste de l'ukiyo-e, littéralement : "image du
monde flottant", mouvement artistique de l'époque d'Edo (vers 1830). Les
peintres et graveurs s'inspirent de la vie quotidienne et de ses plaisirs, et
de la nature, thème immuable de l'art japonais.
La grande vague casse au large de la ville de
Kanagawa, et les spécialistes s'accordent à dire qu'elle ne peut être le fait
d'un tsunami, si l'on prend en compte la hauteur de la vague, l'orientation
cardinale que suppose la présence du Mont Fuji en arrière-plan, la saison
suggérée par l'enneigement de celui-ci. Un typhon peut-être, qui aurait surpris
les pêcheurs? Peu importe l'évènement climatique. Si l'on regarde l'image dans
le sens de lecture japonais, de droite à gauche, la menace est saisissante :
les embarcations sont minuscules et si légères sur les flots, les rameurs
n'osent plus regarder la mer, leur destin semble totalement soumis à la
puissance de l'océan. Ce dernier est, à cette époque où le Japon était
totalement isolé du reste du monde, la principale source de nourriture des
habitants de l'île. Encore aujourd'hui ses ressources font vivre une grande
partie de la population. Il est à la fois la matrice nourricière et une menace
permanente d'engloutissement pour le pays ; il est la main qui donne et la main
qui reprend. L'écume de la vague ne ressemble-t-elle pas à des doigts crochus
ou à des tentacules sournoises et enveloppantes?
Les Japonais s'inspirent de la nature en tout et
pour tout. Elle est une source inépuisable de contemplation, de joie,
d'apprentissage aussi, pour tout le monde et en particulier pour les artistes,
anciens ou contemporains. Vivant profondément les cycles auxquels la nature les
soumet (jours et nuits, saisons, catastrophes naturelles), ils se résignent
pendant les périodes sombres parce qu'ils savent que la nature donne, reprend,
puis donne à nouveau. Une sorte de tabula
rasa permanente, qui permet, dans cette terre instable, aux plantes de
refleurir, à la prospérité économique de revenir, aux artistes de se
renouveler. C'est aussi pour cette raison que de nombreux artistes et artisans
japonais ne sont pas particulièrement attachés à l'œuvre unique, lui préférant
la répétition infiniment perfectible de la copie, qui s'inscrit dans un cycle
fragile et éphémère en adéquation avec celui de la nature.
Mais la catastrophe de mars 2011 a frappé le pays
à un moment où le monde des arts japonais connaissait les frémissements
annonciateurs de changements majeurs. Le tsunami est avant tout un drame humain,
écologique, économique, bien sûr. Mais il peut aussi être le choc nécessaire
pour révéler un tournant décisif amorcé par la création contemporaine
japonaise. Terrassant l'ennui d'une société consumériste tournée vers le passé
et engluée dans le marasme économique, elle ouvre la voie vers une forme de
création plus spontanée, plus urgente même, qui s'ancre dans le réel pour le
questionner, le détourner et le retourner. Telle le ressac d'une vague
puissante qui balaie tout et rejette débris industriels et trésors sous marins,
la jeune garde japonaise laisse entrevoir aujourd'hui des fragments qui
s'agglomèrent en critique sociale, et forcent un passage vers un avenir
incertain peut-être, mais forcément alternatif.
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Narahashi Asako, série Half awake and half asleep in the water, 2005 © Narahashi Asako |
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Narahashi Asako, Momoshi, série Half awake and half asleep in the water, 2003 ©Narahashi Asako |
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Narahashi Asako, Zeze, série Half awake and half asleep in the water, 2005 © Narahashi Asako |
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Narahashi Asako, Bentenjima, série Half awake and half asleep in the water, 2001 ©Narahashi Asako |
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Narahashi Asako, Jonanjima, série Half awake and half asleep in the water, 2002©Narahashi Asako |
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Narahashi Asako, Atami, série Half awake and half asleep in the water, 2001 © Narahashi Asako |
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Manabu Ikeda, Foretoken, 2008, encre acrylique sur papier monté sur chassis, © Manabu Ikeda |
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Manabu Ikeda, Foretoken, 2008, encre acrylique sur papier monté sur chassis, © Manabu Ikeda |
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Manabu Ikeda, Foretoken, 2008, encre acrylique sur papier monté sur chassis, © Manabu Ikeda |
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Tomoko Shioyasu. Vortex, 2011, © Tomoko Shioyasu |
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Tomoko Shioyasu. Vortex, 2011, © Tomoko Shioyasu |
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Tomoko Shioyasu. Vortex, 2011, © Tomoko Shioyasu |
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Shinichi Maruyama, Self-Portrait, 2006, © Shinichi Maruyama |
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Shinichi Maruyama, série Kusho, 2008, © Shinichi Maruyama |
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Shinichi Maruyama, série Kusho, 2008, © Shinichi Maruyama |
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Shinichi Maruyama, série Kusho, 2008, © Shinichi Maruyama |
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