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La 22ème fenêtre est "l'objet-abri"
proposé par les designers Benjamin Tovo et Nounja Jamil pour accueillir les veilleurs de Belfort, performance au long cours initiée par la chorégraphe
Joanne Leighton. Pendant 366 jours, une personne chaque matin et une autre
chaque soir veillera Belfort et sa région depuis la terrasse de la citadelle,
pendant l'heure à laquelle le soleil se lève et se couche. Pour implanter son
projet dans l'espace public, signifier la présence du veilleur et l'abriter, la
chorégraphe a fait appel aux deux designers. La collision entre le monde de la danse et celui du design est en soi un
fait suffisamment rare pour qu'il interpelle l'amateur de projectitude.
Belfort, 3 mai 2012, 06h10. Le vieux lion de Bartholdi a de
la compagnie depuis quelques mois. Précédant les premiers rayons du soleil, la 22ème
fenêtre de la citadelle s’allume, et une ombre humaine se déploie là-haut. Le
veilleur est à son poste. Les premiers passants dans les rues lèvent la tête
sans même y penser, habitués désormais à cette présence familière et
bienveillante. Que se passe-t-il derrière la fenêtre ? Nul ne le sait
vraiment, parce que si le projet est collectif, l’expérience est solitaire.
Entre les quatre parois de l’abri, chacun compose avec sa présence
propre : le corps est contraint par l’étroitesse de la boite, la vision du
paysage est circonscrite par le double cadrage de la boite que n’aurait pas renié
Le Corbusier. Faut-il se tenir au garde-à-vous devant le lever de l’astre royal,
se mettre en position du lotus pour se concentrer ou au contraire s’avachir
pour apprécier pleinement la beauté de l’instant ? A voir. A vivre, chacun
« dans le sac de sa peau » comme disait le même Le Corbusier. Au
moment où la claustrophobie pourrait guetter le veilleur, lorsque l’expérience
spatiale le soumet de manière trop puissante à sa propre corporalité, il est
temps pour lui de trouver l’ailleurs pour se déployer :
« C’est un véritable paysage, avec dépressions, lits de
rivière, montagnes, plateaux, un relief semblable à la croûte terrestre. Le
paysage qui nous entoure, nous le possédons à l’intérieur de cette boîte de
projection. C’est le paysage à l’intérieur duquel nous pensons, le paysage qui
nous enveloppe. Un paysage à parcourir, à tâter, à connaître avec le toucher, à
dessiner point par point, comme l’aveugle tâtonne de sa canne et déchiffre
l’espace qui l’entoure. » Giuseppe Penone
L’échappée est belle, la perspective est infinie. Le
veilleur s’absente à lui-même et se donne pleinement à la contemplation de la
ville, entre songe et réflexion : n’est-il pas proche de l’état du
« dormeur éveillé » de Bachelard, l’homme vigilant par
excellence ? L’extase de la rêverie l’unit mentalement aux autres
veilleurs, et il éprouve alors la beauté du geste performant.
Pour Benjamin Tovo et Nounja Jamil, l’exercice de la boîte est un cas d’école : intégration du projet dans l’environnement urbain, dans
l’architecture de la citadelle (est-il besoin de préciser qu’elle affiche 21
fenêtres en façade), jeu de proportions et de regards croisés avec celui du
lion… En posant sur la citadelle un objet à la fois archétypal et neutre, les designers offrent à chaque veilleur une page
blanche pour se projeter symboliquement et littéralement dans la ville. Le défi
lancé par Joanne Leighton est relevé avec grâce et justesse ; l’architecture
rencontre la chorégraphie et accueille le public-acteur qui s’initie avec
bonheur et simplicité à l’art subtil de la performance.
Il est 7h10, la boite s’éteint, la lumière du jour chasse
les fantasmagories de la nuit et le veilleur redescend de son perchoir pour se
fondre à nouveau dans la ville. Lorsque dans quelques heures le soleil
embrassera l’horizon, le 3e œil du lion s’ouvrira à nouveau pour
veiller sur Belfort, à l’instant fragile et puissant où le diurne rencontre le nocturne.
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Image de synthèse © Tovo Jamil |
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Image de synthèse, axonométrie © Tovo Jamil |
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