dimanche 18 septembre 2011

Auto-production et auto-édition en design : économie de crise ou autonomie de création ?




Un des phénomènes récents du monde du design est la
multiplication de petites maisons d’édition. De nouvelles collections d’objets
ou de meubles voient le jour, alternative intéressante aux propositions des
grandes enseignes et maisons d’édition. Elles sont lancées par des acteurs et amateurs
du monde du design (Petite Friture, Specimen Editions...), des designers associés à des artisans
(Y’a pas le feu au lac), et parfois par les designers eux-mêmes, de manière
plus ou moins spontanée (Nicolas Lanno, cf. article du 15.09.11). Dans l’immédiat, ces
outsiders du marché du design enrichissent et diversifient le paysage du design
actuel. A plus long terme, ils sont l'indice des bouleversements des modes de
production et de diffusion du design à venir.













Du côté des designers, la nécessité est mère de
l’invention : dans un contexte de crise économique où les investissements
se font rares, ils sont non seulement de plus en plus nombreux à travailler en indépendants, mais aussi à produire eux-mêmes leurs pièces. En effet, les grandes
maisons d’édition font majoritairement appel à des designers de renom, une
stratégie de marque qui leur assure une communication solide. Les enseignes de
mobilier et de décoration ont leur pool de designers intégrés. En dehors de ces
circuits, les opportunités de faire produire ses créations ne sont pas si
nombreuses. 


Pour le designer, l’auto-production est donc rarement un choix stratégique
de départ, mais plutôt un « système D » qui lui permet de produire
sans aide ou financement extérieurs. En résulte un processus de travail
pour lequel le designer n’avait pas été formé : à tâtons, il cherche les
bons matériaux, rencontre les professionnels les plus aptes à construire sa
pièce, parfois même s’improvise artisan dans son atelier. Puis il démarche un
peu au hasard des diffuseurs, ou choisit de vendre ses pièces directement sur
son site web ou sur des sites marchands type etsy. Pour entreprendre ce type de
démarche, il faut un solide réseau professionnel, ce qui n’est évidemment pas
toujours le cas du designer solitaire.


Le résultat de ce travail souvent acharné peut être un
prototype qui rejoindra d’autres prototypes en mal de destination sur une
étagère ; il peut être, comme évoqué plus haut, une petite série diffusée
directement dans des boutiques ou par internet ; mais il peut aussi être
une pièce unique exceptionnelle repérée par une galerie. Dans tous les cas, s’il
n’est pas trop découragé ou amer, le designer tire généralement une grande
satisfaction morale de ces expérimentations solos, parce qu’il a pu laisser
libre cours à sa création sans faire de concessions, et aller jusqu’au bout de
sa démarche. Et cette liberté vaut de l’or, bien sur.








Au delà du succès de la petite entreprise personnelle, si
l’on s’intéresse de manière plus générale aux conséquences de ces
auto-productions, la première est d’ordre économique. On l’a montré, le designer
se fait à la fois concepteur, artisan et diffuseur de son projet. Il court-circuite
ainsi tous les réseaux traditionnels de production, et prouve avec plus ou
moins de succès que certains intermédiaires ne sont pas indispensables à un
projet abouti et commercialisé. Cette simplification, si elle ne s’accompagne
pas d’un coût de fabrication trop élevé, peut avoir un impact direct sur le
prix de vente de la pièce produite, et peut permettre une certaine
démocratisation du design. On peut espérer que ces nouvelles productions,
surtout si elles sont commercialisées sur le web, seront plus accessibles à
tous points de vue pour un plus grand nombre de personnes, et qu’elles
favoriseront même un dialogue direct entre le designer et l’acheteur potentiel.
De là à imaginer une production « au cas par cas », à l’écoute du
client, il n’y a qu’un pas.


Du point de vue formel, le « bidouillage » maison
donne lieu à des recherches plastiques intéressantes. N’ayant pas toujours
accès à un équipement industriel, le designer se voit obligé d’inventer ses
propres outils et de réfléchir différemment la forme. Il flirte ainsi à la fois
avec la démarche de l’artisan, mais aussi celle de l’artiste.


C’est pour cette raison que le statut même de la pièce
produite peut être multiple. Au niveau de la production, la frontière est mince
entre maquette, pièce unique et prototypage. Le sort de l’objet est fixé par
destination : la pièce unique achetée par une galerie s’élève au rang
d’œuvre d’art. La petite série produite avec le concours d’un tourneur sur bois
ou d’un maroquinier s’apparente à de l’artisanat. Mais il ne faut pas se
méprendre, le statut du designer, lui, ne change pas. Il peut s’improviser
maquettiste aujourd’hui et mosaïste demain, il ne sera jamais ni maquettiste ni
mosaïste, parce qu’il n’est pas formé pour ça, et parce qu’il réfléchit à
l’objet et à l’espace de manière globale, en fonction de problématiques
environnementales et humaines qui n’exclut aucune matière et aucun support.






Quel avenir imaginer pour ces collections ? On peut
d’ores et déjà prédire que certaines éditions disparaitront lorsque les pièces
seront toutes vendues, et que le designer sera passé à un autre projet.
D’autres peuvent se faire « racheter » par de plus grands noms.
D’autres enfin, fortes de leur succès, s’établiront en petite entreprises
rentables et développeront d’autres collections, en diversifiant à la fois, on peut
l’espérer, leur catalogue de designers et leur clientèle. A tous et dans tous
les cas de figures, bravo et bon vent !

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